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Channel: Sport – les parenthèses
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Alors, c’est comme ça, 42 kilomètres.

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J’aurai voulu vous raconter le marathon. J’aurais voulu vous raconter la veille, les casseroles de pâtes avalées à chaque repas, le repos, le trac, la hâte, la peur, l’envie, la trouille, la préparation minutieuse des habits, je vais mettre un short mint, pour me porter bonheur, des rechanges, des au cas où, des barres de céréales, des pâtes de fruit et des ça, ce sera pour après. J’aurais voulu vous raconter le réveil à 5h, le dernier réveil avant le soleil de ces trois derniers mois, les quinze premières minutes presque mécaniques et habituelles je me douche je m’habille sans réfléchir à ce que je fais sinon je retourne me coucher, j’aurais voulu vous raconter le bol de riz du matin, avalé avec dégoût (je déteste manger quand je me réveille) assise dans mon tipi, en tailleur et en commençant à peine à comprendre que c’est aujourd’hui, cette fichue journée que t’attends depuis le jour où t’as validé ton inscription, sans trop savoir dans quoi tu t’embarquais.

J’aurais voulu vous raconter le métro du matin, rempli de gens aux dossards épinglés, certains souriants, certains aussi verts de peur que moi, certains riants, certains silencieux et concentrés, j’aurais voulu vous raconter cette énergie que personne ne peut comprendre à moins d’être au milieu de ces 35 000 personnes prêtes à en découdre avec les rues de la ville, un dimanche matin, pendant que le reste du monde dort encore. Je n’aurais en revanche pas voulu vous raconter l’attente – 40 minutes – pour le pipi final, parce que ça, ça n’a pas grand intérêt, sauf peut-être celui pour moi de me plaindre une autre fois du froid, du vent et de tous ces gens qui veulent faire pipi avant un marathon.

Et puis après, j’aurais voulu vous raconter tout le reste, mais je ne sais pas comment on fait, pour raconter quelque chose de tellement fort, alors à la place, pour le moment en tous cas, le reste viendra dans quelques temps, je vais juste vous raconter l’après.

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L’après, la médaille, les jambes qui font mal, très mal, les nerfs qui lâchent et qui font passer des larmes aux sourires hystériques et aux larmes encore, les articulations qui hurlent un peu. Trouver le banc le plus proche pour m’écrouler, parce que si je m’assieds par terre, je ne sais pas comment je vais me relever, m’écrouler enfin, C. me tenant les jambes en l’air, C. me massant les mollets, ceux dont je me plains tout le temps parce que je les trouve un peu gros, mais qui m’ont valu des compliments au 28, ou 29ème kilomètre, je sais plus trop, puis me massant les cuisses, celles que parfois, je trouve un peu trop grosses, mais que j’ai fini par embrasser de m’avoir portée pendant 4h26 – on fait des choses un peu ridicules après un marathon, visiblement.

L’après, ouvrir mon téléphone pour envoyer un petit message à ma famille, et voir des dizaines et des dizaines de messages, tweets – merci encore, Justine – et autres, d’encouragements et de soutien et puis fondre en larmes encore, doucement, sans encore vraiment réaliser, mais est-ce qu’on réalise vraiment, à un moment, qu’on a réussi ? La médaille est autour du cou, la couverture de survie aussi, mais c’est difficile de réaliser que ce pour quoi l’on vivait, littéralement, depuis les trois derniers mois, vient juste de s’achever.

L’après, essayer de manger une banane, pas mûre, pas bonne (c’est pas parce que je suis épuisée que je vais manger n’importe quoi), et se mettre en route, aïe, ouille, pas trop vite, pour récupérer veste de finisher et sac, retrouver N., la serrer dans mes bras pendant qu’elle me répète que je l’ai fait, tu te rends tu l’as fait, je suis fière de toi, tu l’as fait, j’ai fait des photos, mais elles sont floues, tu as passé la ligne d’arrivée trop vite, alors je souris, parce que je repense au sprint de la fin, celui qui arrive sans qu’on ne comprenne comment les jambes sont capables de sprinter et comment on fait pour oublier les quatre heures qui viennent de s’écouler, pendant les 600 derniers mètres.

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Et puis, l’après, le retour, le bain glacé pour les pieds et les jambes, puis le bain chaud aux huiles essentielles, mets de l’aspirine on m’a dit, mais j’en avais pas, j’ai mis du sel, je ne sais pas si a changé quelque chose, mais comme d’habitude, au bout de 4 minutes, j’en avais ras le bol d’être dans mon bain, alors l’après, les chaussettes de compression à enfiler pour mieux récupérer (épreuve au moins aussi difficile que le marathon que d’enfiler ces chaussettes), la médaille serrée dans la main, parce que celle-ci, elle va rester quelque part à côté de moi, tout le temps, et puis l’après, le skype à papa-mama, on est fiers de toi, tu sais, et moi je sais toujours pas en fait, ce qu’il vient de se passer, même si les jambes font mal et que les genoux grincent, même si il y a le goût des pâtes de fruit trop sucrées dans la bouche, même si sur la montre, c’est marqué 42 kilomètres.

L’après, et puis le sourire qui part pas, la sensation d’avoir vécu la meilleure course de ma vie, les quelques flash qui reviennent, les frissons quand on repense à cette dernière minute de course, et puis l’après, j’ai accroché mon dossard bien en vue, juste à côté de cette petite affiche qui dit don’t stop believin’, pour me rappeler, toujours, toujours, que ce 25 septembre 2016, dix après l’anorexie, dix ans après tout ça, j’ai couru mon premier marathon.

Sur mon dossard, j’avais fait écrire La vie est belle. Je crois que c’est vrai.

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